100.
— Hum… je reconnais que les apparences jouent contre moi.
Tadeusz Wozniak tient toujours le canon de son arme pointé dans sa direction.
Lucrèce Nemrod cherche Isidore des yeux, mais ne le voit pas.
Il a eu le temps de filer avec le coffret. Maintenant nous avons la BQT. Il me faut juste gagner du temps. Comment manipuler cet homme ? Lui ne fonctionne pas avec les clefs habituelles. Donc, pas la peur. Pas l’argent.
— D’accord, je vais tout vous expliquer. Pourrions-nous aller dans votre chambre pour être tranquilles ?
— Non, je préfère rester ici.
Pas la séduction.
— C’est vous qui avez les cartes en main. Je le reconnais, vous êtes le plus fort.
— Vous me semblez encore plus forte. Venir ici après avoir détruit mon théâtre et tué mon frère, c’est comment dire… « téméraire » ?
Pas le narcissisme. Essayons autre chose. Vite.
— D’accord, il vaut mieux tout vous dire. Je ne suis pas le clown triste. Par contre je vous soupçonne d’avoir tué votre frère. C’est pour essayer de trouver des indices que je suis là.
La vérité. Le meilleur de tous les leviers.
Il affiche un air navré.
— Cette fois vous comprendrez combien il m’est nécessaire de me débarrasser de vous.
Zut. Essayons l’humour. Après tout c’est son domaine.
— Je serais à votre place je n’hésiterais même pas.
Il sourit, compréhensif.
— Je n’en reste pas moins un gentleman. Aussi je vous laisse le choix. Vous préférez que je tire dans le cœur ou dans la tête ?
— ET MOI JE TE DIS QUE TU NE TUERAS PERSONNE !
Ils se retournent tous les deux.
Anna Magdalena Wozniak se tient sur le seuil, en nuisette à fleurs jaunes.
— Qu’est-ce que tu fiches là, maman, va te coucher c’est juste une cambrioleuse que j’ai attrapée en flagrant délit.
— J’ai tout entendu ; tu veux la tuer ! Cette fille, je la connais. C’est la journaliste du Guetteur Moderne.
— Et alors ?
— Ce serait un crime, Tadou.
— Arrête, maman. C’est sérieux. Il est bientôt une heure du matin, les journalistes n’ont aucune raison de venir à cette heure. C’est juste une cambrioleuse qui s’est fait passer pour une journaliste pour effectuer des repérages. Tu t’es fait avoir. Va te coucher, je m’occupe de ça.
Mais la vieille dame s’avance et vient tirer l’oreille de son fils. Il grimace de douleur.
— Hé, Tadou, dis donc, n’inverse pas les rôles. C’est moi qui t’ai torché et qui t’ai couché durant dix ans, alors si quelqu’un doit dire à l’autre « va te coucher », je peux te garantir que ce n’est pas toi.
Voilà la clef. La mère. Je n’y pense jamais parce que je n’ai pas eu de parents, mais c’est très puissant. « La peur de déplaire à maman ». La plupart des hommes sont comme des petits enfants dès que leur mère apparaît. Même César et Al Capone devaient avoir peur de déplaire à leur mère. Surtout ne pas intervenir, laissons-la faire le travail à ma place.
— Mais maman ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes !
— Tais-toi, Tadou. Si tu crois que je ne sais pas ce que tu fais ? Je suis restée silencieuse pendant trop longtemps. Maintenant c’est fini. Il y a eu assez de sang. Assez de morts.
— Arrête, maman, tu me fais mal à l’oreille. Si ça se trouve c’est peut-être elle qui a tué Darius.
— Tu dis n’importe quoi pour ne pas reconnaître que tu as tort. Si tu continues je te passe la langue au savon.
— Non ! pas le savon…
Anna Magdalena saisit le revolver par le canon et le range dans sa poche.
Profitant de la diversion, Lucrèce a déjà filé.
Personne ne la poursuit. Elle reprend le chemin inverse, sort de la propriété et se dirige vers le bosquet où ils ont garé le side-car.
Elle est persuadée qu’Isidore a déjà filé, mais il est assis avec son casque, en train de jouer à un jeu informatique sur son téléphone portable.
— J’ai failli attendre, marmonne-t-il.
— Vous… vous auriez pu au moins rester et combattre. Vous êtes quand même un lâche, Isidore. Un gentleman ne se carapate pas quand une femme est en danger.
Il réfléchit, puis hoche la tête.
— Je vous le concède. Maintenant, si ça ne vous dérange pas, je vous propose de démarrer votre moto et de filer, car ils ne vont pas tarder à se lancer à nos trousses.
Ils roulent dans la nuit.
Lorsqu’ils se trouvent suffisamment loin, Lucrèce allume son autoradio à fond et lance un vieux Pink Floyd, Shine on your Crazy Diamond.
Et, fonçant sur sa moto, avec Isidore dans le side et le coffret « BQT » sur ses genoux, ses cheveux dépassant du casque flottant au vent, elle se sent, pour la première fois depuis longtemps, vraiment « contente ».